Droit Belge VS Droit Français

En France

Avant la loi du 30 juillet 2020, introduisant deux nouvelles circonstances aggravantes au harcèlement moral, le suicide et la tentative de suicide, nous étions confrontés à un vide juridique absolu, vide juridique qui s’expliquait d’autant moins qu’il n’existait pas dans la sphère du travail. Nous étions confrontés exactement à la même aberration pour le harcèlement moral. 

Le harcèlement moral au travail a été reconnu en 2002, entérinant des années de jurisprudence prudhommale, tandis qu’il nous aura fallu attendre 2010, pour que le harcèlement moral dans le couple, les violences psychologiques, soient reconnus et intégrés dans le Code Pénal. Une incrimination juridique n’a été introduite en France qu’en 2010 : « Les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques » article 222‐14‐3 du code pénal.

Toutes ces micro‐violences : mensonges, sarcasmes, injures, mépris, humiliations, dénigrement, isolement, dépendance financière, menaces sont reconnus dans un délit spécifique. Cette violence psychologique, ce ciment de la violence, sans laquelle, aucune femme, aucun
individu, ne peut accepter l’inacceptable, tolérer l’intolérable. Puisqu’après avoir possédé son esprit, le bourreau aura besoin de posséder son corps. Et de manière irréversible, la violence physique s’installera. 

Or la mort est bien souvent l’aboutissement de ces violences. 

Le « suicide forcé » est l’appellation qui est donnée à ces situations où ces femmes victimes de violences psychologiques se donnent la mort, conduites à cela par la manipulation et l’emprise et par la souffrance qu’elles éprouvent. Mais aucun outil juridique ne permettait véritablement d’aller rechercher la responsabilité des
auteurs comme pour d’autres violences volontaires.

Le Grenelle contre les violences conjugales, est un ensemble de tables rondes organisées par le gouvernement français entre le 3 septembre et le 25 novembre 2019. Il avait pour objectif de réunir des personnes concernées par les problématiques liées aux violences conjugales, afin de déterminer des mesures à prendre pour les combattre. 

C’est ce Grenelle qui a permis d’aboutir à l’inscription dans la loi de la notion de suicide forcé. La contrainte, mise en lumière par Véronique Wester‐Ouisse, maître de conférence en droit privé et droit criminel et désormais Vice‐procureur à Quimper, était à la fois de veiller au respect du principe de légalité pénale : nulla poena nullum crimen sine lege ; pas de condamnation possible d’un acte, quand bien même il serait extrêmement choquant, sans que le législateur n’ait prévu auparavant qu’il devait être pénalement sanctionné et de disposer d’un texte clair, précis.

Véronique Wester‐Ouisse a également permis de dresser un tableau des incriminations existantes et de constater qu’aucune ne pouvait trouver application en cas de suicide provoqué par les violences et les humiliations répétées d’un conjoint.

En Belgique

Le législateur belge a prévu plusieurs dispositions pouvant s’appliquer aux cas de violences de genre et ce, commises dans un cadre conjugal ou non. 

  • Loi du 24 novembre 1997: Vise à combattre la violence au sein du couple. Elle est venue modifier l’article 410, alinéa 3 du Code pénal et a prévu une aggravation de la peine lorsque les délits et crimes renvoyant aux infractions de coups et blessures volontaires et d’homicide volontaire auront été commis à l’encontre d’un époux ou d’une personne assimilée. 
  • Loi du 28 novembre 2000: Pénalise la mutilation des organes génitaux féminins par le biais de l’article 409 du Code pénal. Cette réforme est fondamentale puisqu’elle permet de reconnaître ces pratiques comme constituant des violences de genre. 
  • Loi du 28 février 2003: Prévoit que le logement familial est attribué au conjoint ou cohabitant légal qui subit des actes de violence physique de la part de son partenaire.
  • Loi du 10 mai 2007: Erige en circonstance aggravante le fait d’avoir commis une infraction sur une personne en raison de son sexe. 
  • Loi du 26 novembre 2011: Reconnaissance comme circonstance aggravante l’état de vulnérabilité dans lequel se trouve la femme en raison de son état de grossesse, le législateur met en place une forme de protection spécifique des droits des femmes. 
  • Loi du 23 février 2012: Autorise les personnes, dépositaires du secret professionnel par état ou par profession, à en informer le procureur du Roi également en cas de violence entre les partenaires. 
  • Loi du 15 mai 2012: Prévoit que si une personne majeure à la résidence représente une menace grave et immédiate pour la sécurité d’une ou de plusieurs personnes qui occupent la même résidence, le procureur du Roi peut ordonner une interdiction de résidence à l’égard de cette personne.
  • Loi du 15 juin 2012: Erige en infraction le non-respect de l’interdiction prononcée à l’encontre de la personne concernée. Cette dernière peut encourir une peine d’emprisonnement ou une amende. 
  • Loi du 14 janvier 2013: Institue une série de mobiles discriminatoires, dont celui lié au sexe de la personne, en circonstance aggravante des infractions de coups et blessures volontaires et d’homicide au sein du Code Pénal.  

Les limites du droit belge

La majorité des lois citées ci-dessus ne s’appliquent qu’en cas de violences physiques. Ainsi, ces protections et mécanismes ne peuvent être envisagés en cas de violences morales et de harcèlement. 

Les magistrats disposent d’outils pour punir les meurtres ou assassinats perpétrés à l’égard des femmes en raison du fait qu’elles sont femmes. Cependant, certaines associations féministes et auteur-e-s de propositions de lois, plaident pour la nécessité d’inscrire le féminicide en tant qu’infraction autonome au sein du Code pénal. Il est nécessaire que la législation belge reconnaisse ces violences comme étant systémiques, comme découlant de la société profondément patriarcale dans laquelle nous nous trouvons, afin de ne pas invisibiliser le caractère sexiste des violences. 

Concernant les suicides forcés, nous nous trouvons en Belgique face à un vide juridique absolu concernant cette problématique. Une proposition de loi a été déposée par Vanessa Matz, membre du parti démocrate humaniste (cdH), en juin 2021. L’auteure propose d’aggraver les peines prévues par les articles 442 bis et 442 ter du Code pénal se rapportant respectivement au délit d’harcèlement et au délit d’harcèlement aggravé lorsque l’un des mobiles de l’auteur est la haine, le mépris ou l’hostilité à l’égard d’une personne en raison d’une caractéristiques propre. Lorsque l’harcèlement aura conduit la victime à se suicider, il sera question de doubler le minimum des peines correctionnelles prévues par ces précédents articles. 

 

Meurtre ou assassinat, ne pourra fonder une culpabilité. Certes, en cas de suicide de conjoint, des violences physiques ou psychiques ont conduit à la mort, mais:

  • c’est bien la personne elle‐même qui par son geste de suicide est la cause de la mort ;
  • il manquera la plupart du temps l’intention de tuer. Par définition, le conjoint pervers utilise sa victime, en a besoin. Sa disparition, en principe, n’arrange pas « ses affaires ».

« Le fait de provoquer au suicide d’autrui est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une tentative de suicide ». 

Quoiqu’elle puisse effectivement être envisagée dans quelques cas, cette infraction est par trop restrictive :

  • il faut démontrer des provocations au suicide, de véritables incitations au suicide
    prononcées par le ou la mis(e) en cause, directement à l’adresse du conjoint;
  • il faut un passage à l’acte consommé (un suicide ou une tentative);
  • il faut une intention du provocateur visant à ce que le conjoint se suicide
    effectivement ;

Or, comme on l’a déjà évoqué précédemment, il sera difficile de trouver de telles intentions chez quelqu’un qui a besoin de l’objet de sa perversion.

La lecture du texte d’incrimination exclue d’emblée une quelconque application au suicide de conjoint. En effet, l’article 223‐1 n’incrimine qu’une exposition à un risque immédiat de mort « par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Ne sont envisagées ici que les obligations de sécurité et de prudence d’ordre techniques.

L’article 221‐6 renvoie, pour la définition de l’imprudence, à l’article 121‐3 du Code pénal, qui est l’un des textes les plus complexes qui soient. L’application de ce texte au suicide d’un conjoint suppose que ce suicide soit qualifié d’homicide, c’est à dire de mort d’autrui, ce qui implique de démontrer un lien de causalité entre les « imprudences » et cette mort, qu’autrui s’est au demeurant lui‐même infligé. Le raisonnement imposé par l’article 121‐3 définissant l’imprudence est pavé de chausse‐trappes, la première difficulté à résoudre étant celle de la certitude de la causalité. Il faut tout d’abord démontrer que la mort est causée par l’imprudence, même partiellement ; le lien de causalité doit
être existant, de façon certaine. Appliqué à notre hypothèse, il faut démontrer que les violences et propos dégradants constatés ont provoqué ou au moins contribué au suicide.
Si le lien de causalité existe, il faut ensuite établir une distinction entre deux types de lien de causalité. 

L’article 121‐3 distingue entre la causalité directe, entre l’imprudence et la mort, et la causalité indirecte.

  • La causalité est directe si l’imprudence a été déterminante dans la production du
    dommage (art. 121‐3 alinéa 3).
  • La causalité est indirecte si l’imprudence a créé la situation qui a permis la réalisation du
    dommage, ou si le mis en cause n’a pas prévu de mesure permettant de l’éviter (art. 121‐3 alinéa 4).

Appliqué à notre situation :

  • Les violences psychologiques ou physiques sont causalité directe si ces violences sont déterminantes du suicide du conjoint ;
  • Les violences psychologiques ou physiques sont causalité indirecte si ces violences ont permis la réalisation du suicide, ou si le mis en cause n’a pas prévu de mesure permettant de l’éviter.

Ces textes, complexes, ont été élaborés pour des situations de type accidentelles matérielles, et en aucun cas pour les cas de violences psychologiques. Les utiliser pour les suicides de conjoint ajoute, à la subtilité de la situation des violences intra‐familliales, des subtilités juridiques inadaptées à la situation. En outre, qualifier le suicide provoqué d’homicide involontaire supposerait de pouvoir qualifier les violences psychologiques, voire physiques, d’« imprudences », État des lieux sur la notion de suicide forcé en Europe p 8 nonobstant leur irréductible caractère volontaire. Cette qualification doit donc être écartée.

L’infraction des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, dites souvent « coups mortels », est incriminée dans l’article 222‐7 du Code pénal ; les peines sont aggravées par l’article 222‐8 lorsqu’elles ont été commises par le conjoint, concubin ou partenaire
de PACS. Pour incriminer le suicide de conjoint, il est donc préférable de partir de l’existant en l’amendant de la manière la plus simple possible. 

La réflexion s’est appuyée sur le droit positif qui était doté d’un texte incriminant le harcèlement de conjoint qui pourrait servir de base à l’incrimination du suicide provoqué par un conjoint : « le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Article 222‐33‐2‐1 du code pénal.

Et un pas de géant a été accompli, 10 ans après la reconnaissance des violences psychologiques dans le couple: le suicide forcé est entré dans le code Pénal (article 222‐33‐2 1) au même titre que l’emprise. Le Parlement a adopté définitivement (loi n°2020‐936 du 30 juillet 2020) la loi visant à « protéger les victimes de violences conjugales ». Lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider, la peine de l’auteur sera alourdie de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

Article 222‐33‐2‐1 du Code Pénal :
Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail et de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ou ont été commis alors qu’un mineur était présent et y a assisté.

Les mêmes peines sont encourues lorsque cette infraction est commise par un ancien conjoint ou un ancien concubin de la victime, ou un ancien partenaire lié à cette dernière par un pacte civil de solidarité. Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

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