Espagne
L’Espagne est reconnue comme pionnière en matière de lutte contre les violences à l’égard des femmes suite à l’adoption de la loi du 28 décembre 2004 qui vise à assurer une protection intégrale contre la violence de genre. Sa législation est considérée comme faisant partie des textes juridiques les plus progressistes d’Europe en la matière et est souvent prise comme modèle par les associations féministes revendiquant des cadres légaux analogues.
« La violence de genre n’est pas un problème qui affecte la sphère privée. Au contraire, elle représente le symbole le plus brutal de l’inégalité existante dans notre société. »
En adoptant une définition de la violence de genre comme étant celle exercée à l’encontre des femmes au seul motif qu’elles sont femmes, la législation espagnole prévoit une discrimination positive à l’égard des femmes. Cette appréhension genrée a suscité un foisonnement de recours devant le Tribunal Constitutionnel espagnol. Il y était argumenté que cette façon d’envisager les violences était anticonstitutionnel et discriminatoire. Le Tribunal a définitivement tranché la question en mai 2008 en affirmant que le traitement différencié opéré entre les hommes et les femmes ne constitue pas une forme de discrimination puisqu’il existe une justification objective et raisonnable à celle-ci. En effet, la violence exercée par un homme constitue une expression de l’inégalité grave que les femmes subissent. Ce faisant, le Tribunal a ratifié le constitutionnalité de la législation.
Des mesures importantes ont été mises en œuvre grâce à cette loi:
Des tribunaux spécialisés :
Des tribunaux spécialisés dans les violences conjugales ont été créés. Les juges qui les composent ont ainsi suivi une formation obligatoire avant de pouvoir intégrer une juridiction spécialisée dans la problématique. Actuellement, sont dénombrés 106 tribunaux spécialisés exclusivement dans cette matière et 355 traitant également d’autres affaires. Cette mesure nous parait particulièrement indiquée étant donné la nécessité de percevoir les mécanismes sous-jacents à l’œuvre dans le cas des violences domestiques et de comprendre en quoi celles-ci s’inscrivent dans des rapports de domination. Ces éléments nous semblent essentiels pour appréhender au mieux ces dossiers.
L’interdiction de la médiation:
La loi a prévu une interdiction du recours à la médiation, tant civile que pénale dans les cas de violences perpétrées à l’encontre des femmes. Ce faisant, l’Espagne se situe dans la lignée de la convention d’Istanbul qui recommande également cette prohibition au sein de son article 48. Toutefois, cette mesure a été contestée par les professionnels du monde juridique et du travail social, ces derniers considérant qu’elle était adaptée dans certaines hypothèses. Ainsi, lors d’une enquête réalisée en 2010, en Catalogne, une grande majorité de juges estimait qu’elle était appropriée dans les cas où « la violence était limitée dans le temps, de faible ampleur et produite par la dissolution du lien conjugal ». Cette façon de penser nous parait critiquable. En effet, les principes fondamentaux caractérisant la médiation, à savoir l’égalité des parties, la neutralité du médiateur, le secret des sessions et la volonté d’obtenir des solutions équitables ne nous paraissent pas réalisables en cas de violences conjugales et vont à l’encontre des intérêts des victimes. Ces dernières éprouvent, en effet, de grandes difficultés à être confrontées, à nouveau, à leurs (ex) agresseurs et risquent de subir une victimisation secondaire. La justice ne devrait elle pas représenter un cadre sécurisant permettant aux femmes de se sentir en confiance et non pas un lieu reproduisant lui-même certaines violences?
Le bracelet anti-rapprochement:
La loi de 2004 donne la possibilité aux juges d’imposer aux auteurs de violences conjugales le port d’un bracelet électronique. L’individu concerné sera, donc, dans l’obligation de porter ce dispositif nommé « bracelet anti-rapprochement » et de transporter une sorte de téléphone qui permettra de le localiser. Il aura l’interdiction de s’approcher de la victime au-delà d’un certain périmètre défini. Dans le cas où il ne respecterait pas cette injonction, la femme protégée sera avertie, par un téléphone qui lui est également délivré, ainsi que la police qui interviendra immédiatement. Le dispositif, mis en place en 2009, s’est avéré. En 10 ans d’utilisation, aucun féminicide n’a été commis à l’encontre d’une personne protégée. Il apparait, dès lors, que l’effet dissuasif est pleinement rempli. En outre, certaines femmes qui en bénéficient ont affirmé se sentir protégées depuis la mise en place de bracelets.
Inde
Plus d’une femme sur trois (37%) qui se suicide dans le monde vit en Inde. C’est la conclusion d’une étude publiée le 11 septembre 2018 par la revue scientifique britannique The Lancet.
« Le suicide des femmes est un enjeu majeur de santé publique, avec des conséquences socio-économiques, politiques et émotionnelles très importantes. »
Pour Kamala Marius, chercheuse associée à l’Université de Bordeaux Montaigne et à l’institut français Pondichéry, et auteure de l’ouvrage Les inégalités de genre en Inde (Karthala, 2016), la modernisation du pays a provoqué une augmentation des suicides, notamment parmi les femmes de moins de 35 ans, majoritairement mariées. « Avec la montée du niveau de vie, il y a une ouverture plus grande au monde possible, et donc à la conscience de ce qu’on n’a pas en comparaison des autres », affirme-t-elle. Les suicides de femmes représentent 41% des suicides en Inde. Le phénomène serait également dû à la question du mariage forcé en Inde.
Le mariage forcé, c’est quoi?
La définition du mariage forcé est le fait d’être marié·e contre son gré, avec quelqu’un de connu, voir d’inconnu. Or, selon l’article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme: « Toute personne a le droit de se marier et de fonder une famille sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux. »
Chiffres alarmants du mariage forcé de mineures en Inde
Selon les statistiques du mariage forcé, près d’une Indienne sur cinq est mariée de force avant l’âge de 15 ans. L’Inde, à elle seule, cumulait en 2014 un tiers des mariages de mineurs sur la planète.
Une loi a été promue afin d’endiguer le suicide lié au mariage forcé.
L’Inde est le seul pays au monde, avec la France, à condamner sévèrement le suicide forcé. L’article 306 du Code Pénal dispose que « toute personne ayant incité une autre personne à se suicider est passible d’une peine de réclusion de dix ans maximum, ainsi que d’une amende ». Depuis 1983, la loi indienne prévoit des dispositions particulières et plus sévères dans le cas de suicides de femmes mariées depuis moins de sept ans, devant l’augmentation des dowry deaths, littéralement « morts liées à la dot ». A l’époque, de plus en plus de jeunes épouses se suicidaient à la suite de mauvais traitements, voire des tortures, infligés par leur belle-famille dont les demandes de dot n’avaient pas été satisfaites. Ces pratiques existent malheureusement toujours.
Témoignage de mariage forcé
L’affaire Gopalan Nair Krishna Pillai, état du Kerala, 1988. Le contrevenant commettait des actes de violence contre son épouse parce qu’elle ne satisfaisait pas ses demandes de dot. Alors que la victime gagnait un salaire suffisant pour couvrir les frais du ménage et avait donné naissance à un fils comme il le souhaitait, le mari continuait d’exiger qu’elle demande encore plus d’argent à ses parents. Après leur séparation, l’avocat du mari a négocié un compromis et a garanti à la femme qu’elle serait en sécurité. Cependant, le mari a continué de réclamer plus d’argent, que la victime demandait à sa mère. Quand la victime ne payait pas immédiatement, elle était battue, et elle a fini par se suicider. Le mari a été reconnu coupable d’incitation au suicide.
En juillet 2021, en Inde, quatre jeunes femmes âgées de moins de 25 ans se sont suicidées suite à des violences conjugales subies, Vismaya 22 ans, Archana 24 ans, Suchithra 19 ans et Anuja 21 ans.
Italie
Jusqu’en 1981, en Italie, le meurtre d’une femme infidèle par son mari était justifié comme étant un délit d’honneur et l’auteur n’encourait qu’une peine légère. Cette misogynie n’a, toutefois, pas encore totalement disparue. En effet, l’émancipation progressive de la femme heurte de front la conception encore actuelle dans certaines couches sociales de la femme comme objet de possession et de contrôle.
En 2013, la violence conjugale touchait une femme sur trois. De ce fait, le 15 octobre 2013, une loi fut votée, contenant des dispositions urgentes en matière de lutte contre la violence de genre.
Plusieurs mesures sont prises:
- La législation introduit des peines plus lourdes et des circonstances aggravantes, notamment si les violences sont perpétrées en présence d’un enfant ou à l’encontre d’une femme enceinte.
- En outre, la loi prévoit l’arrestation des auteurs de violences surpris en flagrant délit ou flagrant crime. La protection mise en place s’étend à toutes les victimes d’un partenaire violent, qu’ils soient mariés, divorcés, séparés ou conjoints.
- Si une plainte est déposée par une victime de violences, celle-ci ne pourra plus être retirée et les poursuites seront obligatoires.
- De plus, la loi met en place l’expulsion du conjoint violent du domicile conjugal. Les femmes victimes seront tenues au courant de l’état des poursuites le concernant.
- La législation met également encore en place l’octroi d’aides financières aux victimes, quels que soient leurs revenus.
- Enfin et plus fondamentalement encore, cette loi est nommée « loi sur le féminicide ». Ce faisant, l’Italie est le seul pays européen ayant adopté une législation comportant in extenso la notion de féminicide (sans toutefois la consacrer comme infraction spécifique).
Une législation supplémentaire a été adoptée le 19 juillet 2019 modifiant des dispositions relatives à la protection des victimes de violence conjugale. Nommée « codice rosso », code rouge, elle introduit quatre nouveaux délits au sein de la matière des violences perpétrées dans le cadre d’une relation amoureuse. Sont ainsi visées les infractions de revenge porn, de défiguration de la personne, de mariage forcé et enfin, de violation des mesures d’éloignement prononcées à l’encontre d’un conjoint violent. En outre, la législation met également en place des peines de prison plus lourdes et des procédures pénales accélérées. Ainsi, à cet égard, les victimes de violences conjugales ou de genre devront être entendues par les magistrats dans un délai de trois jours à partir du dépôt de leur plainte.
Conclusion
Nécessité d’une reconnaissance européenne de la notion
Termes
juridiques
La Commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a organisé l’audition le 8 juin 2011 de Marie France Hirigoyen, psychiatre, et de Yael Mellul, membre de notre équipe de projet, pour faire le point de la situation dans les Etats membres du Conseil de l’Europe avec, comme objectif, la reconnaissance de la violence psychologique comme infraction et son inclusion dans la Convention pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Pour la psychiatre Marie-France Hirigoyen, ériger la violence psychologique en un délit est un moyen d’agir en amont, de prévenir; mais sans éducation de tous les intervenants, notamment les magistrats et policiers, elle est inapplicable.
En conclusion, Elvira Kovacs (Serbie, PPE/DC, chargé de préparer un rapport sur ce sujet, a estimé qu’il fallait ériger la violence psychologique en infraction même si elle est difficile à prouver, et l’inclure dans la Convention du Conseil de l’Europe pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
C’est ainsi que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique adoptée le 11 mai 2012, a érigé en infraction pénale: le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de porter atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne par la contrainte ou les menaces (Article 33 – Violence psychologique).
Il s’agit désormais d’aller plus loin et d’intégrer la conséquence traumatique la plus extrême du harcèlement, le suicide et la tentative de suicide afin que soit consacré ce principe essentiel: l’harcèlement moral tue, lui aussi, au même titre que les violences physiques.
Termes épidiémologiques
Le nombre de suicides forcés reste peu ou pas documenté. Plusieurs études réalisées en France. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis tendent néanmoins à considérer qu’ils représentent 12% des suicides de femmes en se fondant sur une estimation du nombre de tentatives de suicides de femmes imputables aux violences au sein d’un couple. C’est ce ratio qui a été appliqué par les experts indépendants de Psytel, qui ont fourni une estimation pour les besoins du Grenelle des violences conjugales.
Selon Psytel, 217 femmes se seraient données la mort en raison des violences exercées sur elles par leur conjoint, en 2018 en France.
Dans un prochain délivrable (D3.1, disponible fin novembre 2021), nous reviendrons de façon plus approfondie sur ces estimations que nous tenterons de mener au niveau de l’ensemble des EM en tenant compte des résultats des études plus récentes.
Termes
politiques
La notion d’harcèlement moral sur conjoint est admise dans la majorité des Etats, mais rien n’est prévu en cas de décès de la victime. La France est le premier Etat en Europe à avoir ajouté une circonstance aggravante en cas de suicide ou de tentative de suicide. Le responsable sera alors jugé devant un Tribunal correctionnel et les peines encourues seront de 10 ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende.
A l’occasion de la 19e journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la France à réaffirmé son engagement et sa détermination à ce que la communauté internationale combatte et élimine toutes les formes de violences faites aux femmes. En lien avec ses partenaires européens et internationaux, la France a lancé une campagne visant à universaliser l’adoption de la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
La finalité de la Convention d’Istanbul est de mettre fin à la violence à l’égard femmes et la violence domestique, et de garantir le droit fondamental des femmes de vivre à l’abri de la violence. La prévention de la violence, la protection des victimes et la poursuite des auteurs constituent les piliers de la Convention qui affirme que la lutte contre la violence fondée sur le genre ne peut être efficace que si les Etats mettent en œuvre des politiques globales coordonnées.
C’est dans cet esprit que le principe essentiel pour combattre toutes formes de violences doit être inscrit dans la Convention d’Istanbul et doit avoir vocation à être reconnu dans chaque Etat membre.
“La violence psychologique est le ciment de la violence conjugale et doit être considérée comme l’équivalent psychologique du meurtre. Sans une préparation psychique destinée à la soumettre, aucune femme n’accepterait la violence physique. C’est cette préparation psychique destinée à la soumettre, aucune femme n’accepterait la violence physique. C’est cette préparation psychique, cette pression psychologique, cette violence des mots créant une situation de domination, qui conduisent de manière irréversible, à la destruction morale d’un être, puis à la violence des coups.”
- Yael Mellul
“Beaucoup de femmes ne savent pas qu’elles sont victimes de violences! A quel moment est-on dans un conflit de couples, à quel moment dans la violence? A la base, il y a un conditionnement social. La violence psychologique se met en place par des micro-violences insidieuses, l’humiliation, le dénigrement, puis par l’insulte, des menaces, des pressions financières, l’harcèlement, l’isolement social. L’emprise agit à trois niveaux: cognitif, comportemental et émotionnel et elle peut conduire à une sorte d’addiction réciproque.”
- Marie-France Hirigoyen
“La loi doit ériger en infraction tout acte visant à conseiller intentionnellement à une personne de se suicider ou à l’y encourager, l’y inciter ou l’y aider, ou toute tentative de le faire.”
- ONU Femmes
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